Et si on redonnait vie à la carte postale ?
Au cœur d’un siècle où les écrans ont été massivement importés dans nos vies et où le « claviotage » ou « clavardage » ont supplanté l’acte d’écriture papier, où des myriades de messages se transmettent en une fraction de seconde à l’autre bout du monde, la carte postale semble appartenir à un passé antique.
De la nostalgie propre à l’écriture de cartes postales
Ce serait peu dire pourtant que l’écriture de cartes postales, chez nombre des Millenials ou de la génération Z, ont bercé la balancelle de l’enfance. Et à mesure que l’on file la ligne du passé, on s’aperçoit à quel point cette pratique revêtait une fonction et une fréquence ô combien plus importantes. Elle relevait même de l’opération usuelle, aussi bien affective qu’administrative.
Nombre d’entre nous nous remémorons ces petites cartes blanches ou aux teintes sépia, le crissement de la plume ou les déambulations du BIC le long du grain de papier qui parfois leur opposait le piège de quelque ornière… Le recto dévoilant une photo, ou une illustration, une citation, un trait d’esprit, sélectionnés avec soin en fonction de la personnalité du destinataire… Que de souvenirs affleurant à la mémoire depuis les berges d’un passé révolu, et pourtant, l’écriture de cartes postales n’est pas tout à fait confinée aux interstices, mais persiste bel et bien.
Un rituel soigneusement pensé
C’est que, dans un monde où les notifications fusent en tous sens et les conversations s’égrènent et s’égarent dans le flux de données infini parcourant les applications, la carte postale n’est pas dénuée d’attraits. Elle révèle la sélection délibérée d’un moyen de communication réputé désuet et moins courant. Elle dévoile une série d’opérations reliée aux affects et presque ritualisée : le choix de la carte selon différents facteurs ; la réflexion préalable à la rédaction du message (il n’est pas question ici d’une touche « supprimer » permettant de revenir indéfiniment et sans rature sur le contenu de la missive) ; la rédaction elle-même et le soin apporté à la calligraphie ; le cachetage au fourreau d’une enveloppe ; l’apposition d’un timbre ; l’expédition en boîte aux lettres… Rituel certes passé de mode en définitive, mais pas tout à fait en voie d’extinction : d’après l’Union professionnelle de la carte postale (UPCP), près de 75 millions de cartes postales ont été envoyées en France en 2019.
Un objet de collection et une fenêtre grande ouverte sur les époques enfuies
Au-delà d’une simple fonction de communication, les cartes postales, tout comme les correspondances de manière plus générale, se signalent au rang de témoins aussi précieux qu’éloquents, jamais réticents à nous informer sur des époques que nous n’avons pas, ou que peu, connues. Encore disséquées de nos jours, elles ouvrent des fenêtres vers les événements, habitudes, modes et paysages d’un antan profus, révélés à nos yeux sous la plume de gens de lettres non moins éminents que Victor Hugo, Honoré de Balzac, Stendhal, Alfred de Musset, madame de Sévigné ou encore Albert Camus et Simone de Beauvoir… mais aussi celles, innombrables, de la confrérie de nos semblables qui, pour n’avoir pas reçu les honneurs de livres d’histoire, n’en apportent pas moins un éclairage remarquable sur le passé, depuis l’antichambre des événements historiques et jusque dans le quotidien le plus banal.
Pourquoi résister à l’appel du large de l’écriture ?
Écrire une carte postale, c’est faire le choix de ralentir le tempo d’une vie aux accents parfois frénétiques, de prendre un peu de temps et de se réapproprier l’espace de la pensée, de se poser pour une durée indéfinie, afin de réfléchir singulièrement aux mots que l’on va coucher sur le papier, lâcher la bride à l’imaginaire. Pour le destinataire, c’est la promesse d’une jolie surprise qui ne laisse que rarement indifférent… la prochaine fois que chuchoteront sous la brise, au coin d’une rue, ces petits cartons de papier immémoriaux, pourquoi ne pas répondre favorablement à leur appel ?